Qu’est-ce que le solarpunk ? (selon Connor Owens)

Connor Owens nous décrit sa vision du solarpunk dans cet article passionnant datant de 2016.

Cet article a été initialement publié en anglais sur le site solarpunkarnarchists.com par Connor Owens : https://solarpunkanarchists.com/2016/05/27/what-is-solarpunk/

what is solarpunk ?

Du point de vue du début du XXIe siècle, les choses semblent plutôt sombres. Un cocktail mortel de crises engloutit les habitants de la planète Terre et toutes les autres formes de vie biotique qui la partagent : une crise géopolitique, une crise économique et une crise écologique qui s’aggrave en raison du réchauffement climatique, lequel découle d’un système politico-économique qui a besoin de combustibles fossiles pour alimenter sa technostructure.

La culture, qui entretient une relation symbiotique avec les conditions matérielles, reflète beaucoup de ces crises dans la fiction et les arts. Les années 2000 et 2010 ont regorgé d’images apocalyptiques d’un avenir ravagé par la guerre, le totalitarisme, l’emballement de la technologie des armes, les virus mortels, les zombies et l’effondrement de l’environnement. Non pas que ces récits soient inutiles. Au mieux, ils peuvent servir de réveil pour ceux qui se sont laissés prendre au mythe selon lequel nous avions atteint la « fin de l’histoire » avec la chute du mur de Berlin et le triomphe du capitalisme à l’échelle planétaire. Mais s’ils restent la principale vision que notre culture mondialisée a de possibles avenirs, ils peuvent finir par reproduire le cynisme et le désespoir omniprésents qui font que toutes les crises semblent inéluctables.
C’est pourquoi le solarpunk a de la valeur.

Le Solarpunk est une révolte de l’espoir contre le désespoir

Le solarpunk est une rébellion contre le pessimisme structurel de nos visions récentes de l’avenir. Il ne s’agit pas de remplacer le pessimisme par un optimisme de type Pollyanna (NdT : le principe de Pollyanna, également appelé Pollyannaisme ou biais de positivité, est la tendance des personnes à se souvenir d’éléments plus agréables que ceux désagréables), mais de faire preuve d’un espoir prudent et d’oser déceler les potentiels positifs dans les mauvaises situations. L’espoir que, peut-être, les bases d’une apocalypse (révélation) pourrait aussi contenir les graines de quelque chose de meilleur, quelque chose de plus écologique, de plus libérateur, de plus égalitaire et de plus vivant que ce qui a précédé, si nous travaillons dur pour cultiver ces graines.

N’importe quelle visite des recoins geeks d’internet révèle un assortiment de traditions différentes se terminant par le suffixe « punk » : steampunk, dieselpunk, clockpunk, biopunk, cyberpunk, post-cyberpunk, etc. Tous les différents mouvements de science-fiction punk imaginent comment les choses pourraient se passer si la société et la technologie prenaient une tournure différente. Alors que le steampunk imagine un passé qui aurait pu être, sur la base de la technologie de l’ère victorienne, le solarpunk imagine un futur qui pourrait être, sur la base de la technologie de l’ère actuelle. Il anticipe le type de science-fiction alternative que les gens du futur pourraient écrire sur nous si les choses tournaient mal. Mais plus qu’un nouveau sous-genre de la science-fiction ou de la fantasy, c’est aussi une vision pratique pour (peut-être) concrétiser les choses qu’il imagine dans le monde réel.

Vous vous demandez peut-être ce que signifie exactement le terme « punk » dans ce qu’un cynique pourrait considérer comme l’enfant chéri des hippies et des futuristes. Après tout, le punk n’est-il pas censé représenter la colère et la rage contre le « système », ainsi que le cuir noir et les cheveux hérissés ? Le punk est plus une éthique qu’un ensemble spécifique de significations, impliquant une rébellion contre le paradigme dominant et tout ce qu’il a de répressif, et sa négation. En ce sens, dans un monde déchiré par un système planétaire basé sur l’avarice, la soif de pouvoir et l’écocide, le solarpunk pourrait être le mouvement le plus « punk » de tous.

Le solarpunk est de l’éco-spéculation, dans la fiction comme dans la réalité

Le Solarpunk est une tendance (principalement) esthético-culturelle et (parfois) éthico-politique qui tente de nier l’idée dominante qui s’empare de la conscience populaire : que l’avenir doit être sombre, ou du moins sombre pour la masse des personnes et des formes de vie non humaines sur la planète. En examinant le fossé millénaire entre la société humaine et le monde naturel, elle pose comme fondement éthique la nécessité de réparer ce fossé, de transformer notre relation à la planète en transcendant les structures sociales qui conduisent à un écocide systémique.
Il s’inspire beaucoup de la philosophie de l’écologie sociale, qui s’attache également à combler ce fossé en restructurant la société pour qu’elle fonctionne davantage comme l’écologie : non hiérarchique, coopérative, diverse et recherchant l’équilibre.

La vision du Solarpunk est celle d’une société écologique au-delà de la guerre, de la domination et de la pénurie artificielle, où tout est alimenté par de l’énergie verte et où la culture de la hiérarchie et de l’exclusion a été remplacée par une culture fondée sur l’inclusion radicale, l’unité dans la diversité, la libre coopération, la démocratie participative et l’épanouissement personnel.

Ce serait un monde d’éco-villes décentralisées, d’impression 3D, de fermes verticales, de vitres solaires, de formes vestimentaires et de design sauvages ou inventives, et d’une esthétique cosmopolite vibrante ; où la technologie n’est plus utilisée pour exploiter le monde naturel, mais pour automatiser le travail humain inutile et aider à réparer les dégâts que l’ère du pétrole a déjà causés. Le Solarpunk souhaite des sociétés de diversité ethnique polyculturelle et de libération des genres, où chaque personne est en mesure de s’actualiser dans un environnement sociétal de libre expérimentation et d’entraide communautaire ; il est animé par une éthique primordiale de rationalisme compatissant, où la science et la raison ne sont pas considérées comme antithétiques à l’imagination et à la spiritualité, mais comme des concepts qui font ressortir le meilleur de chacun.

Il tente de faire vivre ces valeurs dans l’ici et maintenant, en préfigurant le monde à créer, par le biais de la littérature de science-fiction et de fantasy, des arts, de la mode, du cinéma, de la musique, des jeux et d’un ensemble d’idées qui inspirent l’activisme politique, économique et écologique.

Les histoires solarpunk sont susceptibles de mettre en scène des personnages issus de groupes (actuellement) opprimés ou marginalisés vivant plus librement, plus équitablement et plus inclusivement qu’ils ne peuvent le faire aujourd’hui ; explorant un monde exotique de modifications corporelles, de découvertes sexuelles et de genre, de nouvelles formes de technologie – et gérant les conflits issus des vestiges de l’ancien monde ainsi que les problèmes uniques qui ne manqueront pas de surgir dans une scène sociale très différente. Les arts solarpunk sont animés par des mélanges de technologies multimédias et d’artisanat plus traditionnel, mêlant des éléments aussi disparates que l’anime, l’Art nouveau, l’afrofuturisme, les dessins indigènes américains et la mode édouardienne dans un brouet de pollinisation artistique croisée. Tous ces artistes tentent de prendre les aspects existants de notre monde actuel et de les transformer en quelque chose de plus libérateur, en se spécialisant dans le recadrage, le pastiche et la réimpression de personnages, de styles et de tendances existants dans un contexte très différent. En mélangeant les divers styles esthétiques de plusieurs cultures différentes, le solarpunk engendre une célébration de l’hybridité tout en étant sensible aux problèmes d’appropriation culturelle – « prendre » au lieu de « participer » – des cultures subordonnées par les cultures dominantes.

Solarpunk est l’articulation positive d’un monde meilleur.

Non content d’accepter les diktats d’un avenir régi par des états autoritaires, des entreprises rapaces et une biosphère spoliée, le solarpunk est un mouvement écofuturiste qui tente d’échapper à la catastrophe en imaginant un avenir dans lequel la plupart des gens aimeraient vivre, au lieu de ceux que nous devrions essayer d’éviter ; un avenir caractérisé par une réconciliation entre l’humanité et la nature, où la technologie est utilisée à des fins centrées sur l’homme et sur l’environnement, et où une société régie par la hiérarchie et la compétition a cédé la place à une société organisée sur la base de la liberté, de l’égalité et de la coopération. Son but est de servir de contre-récit convaincant aux conditions matérielles et idéelles qui nous maintiennent piégés dans un monde autoritaire et écocide où, comme l’a dit Margaret Thatcher, « il n’y a pas d’alternative ».

Il existe déjà des éléments d’une telle alternative en ce moment même, si seulement leurs potentiels étaient exploités. Les coopératives de travail, les éco-communautés autosuffisantes, les assemblées populaires en démocratie directe, les fédérations volontaires de petites communautés, les réseaux d’aide mutuelle, les trusts fonciers communautaires ; tous ces éléments pourraient former, s’ils étaient utilisés, un type de structure politico-économique très différent de celui qui est poussé par la mondialisation néolibérale. De même, des technologies telles que l’énergie solaire, éolienne et marémotrice, l’impression 3D, l’agriculture verticale, la micro-fabrication, les logiciels libres, le matériel open-source et les machines robotisées qui peuvent automatiser le travail humain, servent à illustrer les possibilités d’une technostructure écologique et décentralisée où les moyens de production sont sous contrôle populaire, plutôt que d’être utilisés pour accroître le profit et le pouvoir d’une élite dirigeante.

En politique, le solarpunk appartient à la tradition plus large de la gauche décentralisée, associée à des penseurs et des activistes tels que Peter Kropotkin, William Morris, Emma Goldman, Lewis Mumford, Paul Goodman, E.F. Schumacher et Murray Bookchin. Il rejette le faux choix entre le Scylla du capitalisme de marché et le Charybde du socialisme d’État, entre l’individualisme forcené et le collectivisme étouffant, et opte plutôt pour une société qui concilie une saine individualité avec la solidarité communautaire.

Une politique solarpunk remplacerait les formes centralisées de gouvernement étatique par des confédérations décentralisées de communautés autonomes, chacune s’administrant elle-même à travers de nombreuses formes de démocratie directe et participative, avec d’innombrables types d’associations volontaires structurées horizontalement qui s’occupent des questions judiciaires, environnementales et sociétales de manière à maximiser à la fois l’autonomie personnelle et la solidarité sociale.

Une « économie des biens communs » solarpunk se passerait à la fois des entreprises lucratives et de la planification centrale étatiste en faveur de coopératives gérées par les travailleurs, de réseaux d’échange collaboratifs, de ressources communes et du contrôle des investissements par les communautés locales. L’objectif de l’économie serait réorienté de la production pour l’échange et la « croissance » industrielle vers la production pour l’utilisation et l’augmentation du bien-être bio-psycho-social des personnes et de la planète. La production serait déplacée aussi près que possible du point de consommation, l’objectif à long terme étant une relative autosuffisance en matière de biens et de fabrication. Des formes décentralisées d’écotechnologie seraient utilisées pour rendre le travail plus participatif et plus agréable – en « artisanalisant » le processus de production lui-même – et pour automatiser, dans la mesure du possible, les formes de travail ennuyeuses, sales et dangereuses. Après avoir atteint un degré approprié de post-pénurie, d’autosuffisance locale et d’automatisation du travail, il pourrait même être possible d’abolir l’argent en tant que nuisance inutile dans l’allocation des ressources.

Une culture solarpunk s’efforcerait de dissoudre toute forme de hiérarchie sociale et de domination – qu’elle soit fondée sur la classe, la race, le genre, la sexualité, les capacités ou l’espèce – en dispersant le pouvoir que certains individus ou groupes exercent sur d’autres et en augmentant ainsi la liberté globale de tous, en donnant du pouvoir aux personnes privées de pouvoir et en incluant les exclus. Elle est enracinée dans l’héritage de mouvements libérateurs tels que le socialisme anti-autoritaire, le féminisme, la justice raciale, la libération queer et trans, les luttes pour les personnes handicapées, la libération des animaux et les projets de liberté numérique.

Le Solarpunk est un utopisme pratique

Comme vous pouvez le constater, il y a toujours eu des alternatives, la sagesse conventionnelle les rejetant d’emblée comme « utopiques ». Mais l’utopisme est-il vraiment une si mauvaise chose ? D’une certaine manière, oui. Le mot lui-même, inventé par Thomas More, est un jeu de mots latin qui signifie à la fois « sans lieu » (ou-topia) et « bon-lieu » (eu-topia), ce qui implique un lieu si bon qu’il ne pourrait pas exister. Avant et après More, il y a eu des tentatives par des rêveurs outopiques de créer des mondes parfaits dans lesquels aucun problème réel n’existait, de tels projets ont également eu tendance à être des sociétés totalitaires et centralisées avec peu de liberté personnelle.

Mais il y a aussi eu des tentatives de créer des sociétés futures qui n’étaient pas des scénarios de « fin du monde » sans faille, mais qui essayaient d’éliminer les conditions structurelles qui limitaient l’autonomie personnelle et imposaient l’inégalité aux gens. Ces visionnaires eutopiques ont mélangé un esprit d’espoir avec une attitude pratique, l’un tempérant l’autre. C’est de cette dernière tradition que le solarpunk tente de s’inspirer.

Le solarpunk n’est donc pas utopique au sens négatif du terme, qui consisterait à vouloir concevoir un monde « parfait » sans aucun problème – une outopie (un non-lieu) – mais il est utopique dans la mesure où il imagine un monde meilleur qui incitera les gens à le créer dans la réalité – une eutopie (un lieu-bon). Il considère l’utopie comme un processus constant d’approximation d’un idéal, et non comme une lumière au bout du tunnel. Le Solarpunk reconnaît que notre utopie de libération sociale et de gestion écologique ne sera peut-être jamais réalisée à 100%, mais si nous gardons au moins cette vision à l’esprit, en déployant nos efforts pour rendre le monde un peu meilleur partout où nous le pouvons, alors au moins chaque pas que nous faisons vers la réalisation de cette utopie sera un pas dans la bonne direction. Ce sera un progrès et, pour ceux qui en bénéficient, une libération.

Comme l’a dit un jour Oscar Wilde, « Une carte du monde qui ne comprend pas l’utopie ne vaut même pas la peine qu’on y jette un coup d’œil, car elle laisse de côté le seul pays où l’humanité atterrit toujours. Et quand l’humanité s’y pose, elle regarde vers l’extérieur et, voyant un meilleur pays, elle met les voiles. Le progrès est la réalisation des utopies ».


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